15 - motoco
24 - Culture industrielle du Dreiland
Documenter et dialoguer autour des processus de transformation
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Porteur de projet
SAS motoco&co (FR)
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site internet
Un lieu, 140 artistes, 100 évènements par an et un quotidien d’improbables possibles. Implanté à Mulhouse en France, le lieu de production artistique Motoco a été initié par un professeur de design suisse. Il bat désormais son plein et rassemble des artistes du monde entier. Le projet a pris forme dans le cadre de l’IBA Basel pour insuffler une nouvelle vie au site industriel DMC. Sa devise « More to come » – « plus à venir » est un manifeste !
La région métropolitaine de Bâle se caractérise par une culture très riche, car située à la croisée de trois pays et de deux langues nationales. Il existe depuis longtemps une forte volonté des acteurs de ce territoire trinational de ne pas limiter la coopération transfrontalière aux échanges économiques, mais de l’étendre aux arts et à la culture afin de faire du projet territorial un projet de société porté par les habitant- e-s. En effet, les arts et la culture permettent l’émergence d’un sentiment d’appartenance commune à la région, qui se nourrit et s’enrichit de la diversité locale. C’est à ce titre que le projet Motoco, lieu d’expérimentation artistique implanté sur un ancien site industriel en plein coeur de la ville de Mulhouse (FR), s’inscrit dans le processus de l’IBA Basel. Les lieux culturels et artistiques ne manquent pas dans la région trinationale de Bâle. Mais tandis que du côté suisse, les espaces d’expérimentation et les friches industrielles sont de plus en plus rares, du fait de la forte pression foncière, le sud de l’Alsace (FR) possède un vaste patrimoine industriel qui ne demande qu’à être réhabilité et trouver une seconde vie.
Une vision nouvelle pour un site endormi
C’est en cherchant un lieu pour accueillir l’HyperWerk, atelier de design postindustriel rattaché à la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse (FHNW) qu’il dirige, que Mischa Schaub découvre en 2012 le site de DMC à Mulhouse (FR) lors d’un événement de l’IBA Basel. Filature d’envergure mondiale, l'usine n'occupe plus qu'un tiers de son site historique. Quinze hectares de terrains, acquis par la Société d’équipement de la région mulhousienne (SERM) sont en effet vacants. L’ensemble forme une ville dans la ville : il se caractérise par un riche patrimoine architectural composé de vastes bâtiments de brique rouge et d’une série de hautescheminées. L’objectif de Mischa Schaub est de mettre en pratique la pensée théorique développée à l’HyperWerk autour des questions d’innovation sociale et d’innovation économique (le futur du travail et de l’éducation). Il imagine un concept de renouvellement urbain et social impulsé par des acteurs de terrain aux savoirs complémentaires – artistes, entrepreneur-e-s, ingénieur- e-s, etc. Son projet, baptisé « Open Parc », fait écho aux aspirations de rééquilibrage international, et au slogan « Think globally, act locally ». Il doit se concrétiser avec des mesures allant dans le sens de l’open source (ressources en accès libre), du fab lab (prototype et production en petite série), de la slow food, du microcrédit et du financement participatif. Une approche en résonance parfaite avec ce type de lieu : les friches industrielles sont des espaces vastes, précaires et souvent inutilisables, si bien qu’une réappropriation pérenne passe nécessairement par la mutualisation des moyens (idées, engagement, capitaux) mais aussi par à la préservation du patrimoine architectural. Le projet est suffisamment audacieux pour emballer et embarquer la population et les usagers du territoire mulhousien.
La mise en oeuvre
En 2013, le projet Open Parc démarre par la création de l’association Motoco, qui s'installe dans un bâtiment dépouillé, mais en état acceptable, le bâtiment 75 : 8500 m2 répartis sur trois étages. Un appel aux artistes locaux est lancé afin de créer une première communauté d’expérimentation. Les conditions d’accès modiques (des loyers de 1,5 à 2 euros le m2 / mois) et l’ambition du projet permettent de réunir rapidement une cinquantaine d’artistes en résidence. Un récurage de fond en combles et de petits travaux de réparation sont assurés par la communauté. La collectivité se charge des travaux de mise aux normes pour permettre l’accueil du public au rez-de-chaussée et l’organisation d’événements tels que des visites guidées, rencontres littéraires, ateliers avec les établissements scolaires et marchés créatifs. La dynamique artistique et culturelle s’est très vite ancrée. Elle a suscité l’enthousiasme des associations locales et du grand public. Mais la volonté commune de passer à une autre échelle et l’impatience de construire les autres briques d’Open Parc, ont nécessité de stabiliser les dimensions organisationnelle et économique du projet, au risque de fragiliser ce premier écosystème. En 2016, des problèmes financiers compromettent la survie de l’association et l’ambition d’Open Parc.
Rééquilibrage économique et ambition revisitée
Malgré les difficultés traversées les trois premières années de son existence, Motoco est devenu un acteur artistique incontournable et un moteur de transition pour le territoire dans l’imaginaire de la population. C’est suffisant pour que la collectivité locale décide de sauver cet écosystème, afin de pérenniser son impact créatif sur le territoire. En collaboration avec les artistes tencore présents, elle organise un programme de réorientation qui dure plusieurs mois. De façon inattendue, le rebond de Motoco, simple association, débouche sur un nouveau modèle, dont l’organe central devient une SAS (société par actions simplifiée). Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur ce choix de forme juridique qui incarne un modèle mercantile souvent mal perçu par un monde artistique qui entend s'en affranchir. L'objectif initial, qui demeure au coeur de l'ambition du projet, est de permettre et de développer une production artistique de qualité. Le maintien de tarifs très bas pour la location des espaces de travail, c'est-à-dire aux prix pratiqués au début du projet (en moyenne 20 € / m² / an) est une traduction directe de cet objectif. Il s'agit aussi de proposer un environnement dans lequel chacun peut s'isoler ou se réunir, au gré des envies, pour partager, voire mutualiser des compétences. Résulat : les deux tiers du bâtiment occupés par Motoco (soit plus de 5 000 m²) entraînent de fait un déficit financier dû aux loyers modiques. L'équation à résoudre se résume ainsi : comment maintenir l’objectif tout en comblant ce manque à gagner ? Il n'y a pas recette miracle. En Europe,les résidences d'artistes sont financées soit par des fonds publics, soit par des mécènes privés, soit par les deux ! L'équilibre financier a été trouvé avec l'exploitation des espaces accessibles au public. Aujourd’hui, le lieu accueille près de 100 événements privés et publics par an, qui attirent 35.000 visiteuses et visiteurs : cette fréquentation génère le bénéfice nécessaire pour compenser la partie déficitaire du projet de résidence, et offre l'opportunité aux artistes résidents de travailler sur des installations éphémères, mais, point essentiel, sans trop les éloigner de leur coeur de métier. Le pari était risqué et la forme entrepreunariale d'exploitation a favorisé des prises de décision très réactives et engagées. Une prise de responsabilité inscrite dans une démarche de long terme, qui semblait moins évidente dans une forme associative. Le modèle fonctionne aujourd'hui, grâce à l'aide de lancement offerte par les collectivités locales. Après deux ans de fonctionnement, l'écosystème en place est flexible, mais il doit se réinventer en permanence s'il veut durer. La valeur de Motoco repose sur les talents artistiques de ses résidents, dont l'expression doit pouvoir s'affranchir des commandes et des contraintes financiers. Ces talents puisent dans la recherche technique, philosophique, humaniste, qui enrichit les regards et bouscule les normes et la bien-pensance. Aujourd’hui Motoco prévoit de faire évoluer son activité selon plusieurs objectifs :
- un système juridique et organisationnel pérenne favorisant l’intérêt général, la stabilité du modèle d’exploitation et la sécurisation du foncier,
- une plus grande exigence dans les critères de sélection de ses nouveaux arrivant-e-s et dans les modalités d’aide au parcours artistique de ses résident-e-s,
- le déploiement d'interventions artistiques dans divers secteurs, au-delà de l’événementiel : bâtiment, mobilité, aménagement, slow food,…
- les échanges d'expériences grâce aux résidences internationales partagées
- la réflexion avec les institutions sur le statut et l’impact des artistes dans nos sociétés en transition.
Le quartier DMC : une pépinière d’artistes pérenne
Plusieurs ingrédients ont permis au projet Motoco d’émerger : la force visionnaire d'un acteur étranger, peu familier des réglementations françaises parfois contraignantes pour ce genre de projet. Les débuts de l'IBA Basel, avec leurs nombreuses manifestations et leur climat propice aux projets innovants. À cela, il faut ajouter des élu-e-s engagé-e-s et prêt-e-s à prendre le risque de se lancer dans une expérimentation inédite et de nombreux acteurs de la société civile désireux de s’investir. La première amorce du projet Motoco a permis d’ouvrir le champ des possibles et a développé une nouvel élan dans le territoire. L’idée fondatrice était sans doute bien trop ambitieuse et utopique. C’est pourtant bien ce brin de folie et cette détermination qui ont permis au projet d'émerger, faisant surgir une nouvelle attractivité et des attentes inexistantes jusque-là. La deuxième phase, plus structuée, a permis de sécuriser un modèle de fonctionnement doté d'une ambition cohérente vis-à-vis du projet de départ, mais bien plus réduite. Sept ans après son initiation (trois ans de phase de lancement et quatre ans de phase de sécurisation), l'utopie d'hier est devenue la réalité d'aujourd'hui. L'ambition du projet actuel fait écho à l’esprit d’Open Parc, avec des parties prenantes enthousiasmés par la singularité du projet Motoco, un fonctionnement ayant atteint l’équilibre financier, et le développement de nouvelles activités toujours en lien avec la vocation artistique du lieu. Les artistes résidents de Motoco se déploient de plus en plus à l’international. Grâce au réseau IBA, ils ont également pu collaborer à d’autres projets, tel que l’IBA KIT, tissant ainsi des liens au-delà des frontières. Aujourd’hui, Motoco capte plus de 35.000 visiteuses et visiteurs par an et attire l’attention d’expert-e-s à l’échelle européenne. Il offre une nouvelle vie à un patrimoine bâti menacé par la dégradation, tout en donnant une nouvelle visibilité au quartier DMC dans son ensemble. Le projet dynamise les processus de requalification à l’oeuvre dans les autres bâtiments : ainsi, en 2020, le plus haut mur d’escalade de France a ouvert ses portes dans un bâtiment voisin de Motoco.
Adresse
Motoco, Bâtiment 75, 11 Rue des Brodeuses, 68100 Mulhouse (FR)
Cet article est un extrait de la publication de l'IBA « Au-delà des limites, ensemble ».