L’espace de plaine qui s’étend entre Bâle, Allschwil (CH), Hégenheim (FR) et Saint-Louis-Bourgfelden (FR) est identifié comme espace paysager stratégique de l’agglomération. Ce territoire, situé à l’interface entre la France et la Suisse, est pourtant longtemps resté un territoire impensé. Grâce à un partenariat inédit, le projet IBA Parc des Carrières s’apprête à transformer le paysage banal de la frontière en destination de loisirs et de nature de portée métropolitaine.

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, la croissance urbaine a renforcé la dimension trinationale du centre de l’agglomération bâloise. Les espaces bâtis se sont notamment étendus aux dépens des espaces paysagers, longtemps considérés comme variable d’ajustement de la ville. L’affirmation des enjeux écologiques et climatiques, ainsi que du désir de nature en ville met aujourd’hui en exergue le potentiel structurant de ces espaces ouverts. À l’interface entre les collines sundgauviennes et la ville dense, la plaine rhénane du secteur de Bâle, Allschwil (CH), Hégenheim (FR) et Saint-Louis-Bourgfelden (FR) demeure l’un des plus vastes espaces ouverts du coeur de l’agglomération trinationale. Ce site de 300 ha est identifié comme un secteur stratégique du réseau paysager et écologique transfrontalier depuis le début des années 2000. Au début du projet, il était encore une terra incognita, malgré la forte densité de population du secteur. Marqué par l’agriculture intensive, l’extraction industrielle du gravier, le trafic aérien de l’EuroAirport, mais aussi par la mosaïque des quartiers, jardins familiaux, surfaces tertiaires installées à ses alentours (entreprises industrielles et artisanales, casses auto...), le site est un emblême des effets de coupure générés par les frontières. Les espaces densifiés du côté suisse y créent un fort contraste avec les espaces ouverts agricoles du côté français. Cette situation témoigne du phénomène de métropolisation, c’est-à-dire d’extension et de recomposition des villes à l’échelle territoriale, dont résulte l’enchâssement d’espaces agricoles et naturels dans un tissu urbain hétérogène. Ces dernières années, l’attention pour cet espace paysager s'est accrue par le développement de zones d’activités tertiaires (notamment le projet BaseLink à Allschwil en Suisse), et par la planification d’infrastructures majeures (contournement de Hégenheim (FR) et nouvel accès autoroutier d’Allschwil). Comment un espace d'entre deux peut-il devenir un paysage fédérateur pour les communes riveraines et la région ? La transformation qu'opère le projet IBA Parc des Carrières est le fruit d’un processus incrémental : la stratégie de développement de l’Eurodistrict trinational de Bâle* en a posé les bases en esquissant les grands principes d’un parc métropolitain. L’initiative Kiesgruben 2.0 / Gravières 2.0 a agi comme déclencheur. Révélée par l’appel à projets de 2011, cette idée présentée par le bureau d’études bâlois Courvoisier Stadtentwicklung vise à valoriser les carrières de la plaine rhénane pour développer un réseau transfrontalier d’espaces de nature et de loisirs. L’IBA y a vu l’opportunité de passer à l’action et a désigné le périmètre constitué par Bâle, Allschwil (CH), Hegenheim (FR) et Saint- Louis / Bourgfelden (FR) comme projet pilote.

La frontière comme nouvelle porte d’entrée verte de l’agglomération

Agir sur un espace si vaste est une affaire complexe, a fortiori lorsque l’initiative n’émane pas d’une collectivité, que le foncier est aux mains du secteur privé et que les limites administratives complexifient les partenariats et les démarches. Une stratégie de transformation progressive a vu le jour sous le pilotage de l’IBA. Elle se fonde sur l’aménagement d’un parc paysager dans la partie centrale de la plaine, et sur la création d’un réseau de liaisons douces et écologiques vers les communes limitrophes. Il s’agit de donner corps à une nouvelle porte d’entrée verte de l’agglomération, ouvrant sur le grand paysage. L’espace de la frontière ainsi mobilisé comme ressource permet de créer un lien symbolique fort, un lieu de rencontre partagé par-delà la frontière, et un moteur du projet urbain dans un secteur en fort développement. Le réaménagement de la grande gravière est au centre de cette stratégie. À partir du printemps 2021, une première phase de réalisation permettra de réaménager les parcelles en fin d’exploitation, comblées avec des terres non polluées, l'extraction du gravier se poursuivra sur des parcelles voisinnes. Les parcelles restituées au fur et à mesure de la cession d’exploitation constitueront progressivement le coeur du parc.

Une nouvelle centralité paysagère locale et régionale

Entre 2020 et 2028, 12 hectares de sols artificiels seront ainsi renaturés et près de 700 arbres et arbustes d’essences locales seront plantés. Une mosaïque d’habitats naturels à forte valeur ajoutée sera restaurée, favorisant la diversification de la faune et de la flore, là où la monoculture les avait appauvries. Le projet IBA Parc des Carrières rétablira un maillon manquant de la trame écologique et paysagère régionale à l’interface entre la Petite Camargue alsacienne, la trame verte de Saint-Louis (FR) et le coeur dense de l’agglomération bâloise. Agrémenté de cheminements variés et d’espaces pédagogiques, il deviendra une destination de loisirs et de sensibilisation pour les riverain-e-s et les habitant-e-s de la toute la région. Ses cinq corridors écologiques et cyclables renforceront les connexions entre les quartiers et sécuriseront les trajets des promeneurs et des usagers à vélo. Une aire de rencontre et de jeux sera aménagée à la croisée des chemins dès la première phase du projet. Une tour-belvédère sera construite par la suite.

Le laboratoire IBA, moteur d’apprentissage commun

Derrière l’idée d’aménager un parc transfrontalier se cache un travail préparatoire intense, que le « laboratoire IBA » a rendu possible en développant un partenariat public-privé inédit et exemplaire à partir de l’initiative d’un bureau d’études privé. L’IBA a assuré le pilotage du projet pendant plus de huit ans et lui a progressivement construit un cadre institutionnel. Tout d’abord, la création d’un groupe de travail a permis de fédérer des acteurs publics et privés suisses et français aux intérêts variés (collectivités locales, exploitants de la gravière, propriétaires fonciers, EuroAirport). L’IBA a ensuite donné l'impulsion, participé au financement et piloté des études techniques de qualité, en impliquant toutes les parties prenantes. Ce travail de diagnostic et de projet a été essentiel pour convaincre les partenaires de s’engager. Des conventions de partenariat et de cofinancement ont été établies avec les collectivités. L’action de l’IBA a également permis d’obtenir le soutien financier de nombreux sponsors pour l’aménagement de la première phase, et d’initier un mécanisme de cofinancement original tiré des recettes générées par un léger surremblaiement de la carrière. L’investissement public a ainsi pu être limité, d’autant plus que des partenariats signés avec les propriétaires fonciers ont évité l’achat de terrains. Malgré les obstacles administratifs et la longueur du processus, la forte plus-value fonctionnelle et symbolique du projet a encouragé parties prenantes à rester mobilisées. Une dizaine d’années de préparation, autant de conventions et de nombreuses autorisations administratives auront été nécessaires pour permettre le démarrage des travaux, soit bien plus que pour un projet « classique ». Mais ce temps d’apprentissage, de partage et d’hybridation des pratiques est un gage de confiance et d’innovation. Une association regroupant les principaux partenaires publics et privés a été fondée en 2019 pour assurer la gouvernance du projet sur le long terme, même après la fin de l’IBA Basel. Cette structure administrée par l’Eurodistrict trinational de Bâle garantit la pérennité d’une culture de projet commune.

Un projet modèle pour le futur du secteur et de l’agglomération

En donnant corps à un espace paysager fédérateur et à une plateforme de coopération à la frontière franco-suisse, l'IBA Parc des Carrières est un projet moteur pour le développement de l’ensemble du secteur. Il permettra d'encourager les synergies ville–nature dans les projets d’infrastructure qui y sont programmés, telle que la voie d’accès autoroutière d’Allschwil (CH) (ZUBA) et le contournement de Hésingue–Hégenheim en France. L'IBA Parc des Carrières pose aussi des jalons pour le développement des nombreuses zones constructibles qui ont été planifiées sur le pourtour du site au cours de la dernière décennie. De par ses dimensions paysagères, écologiques mais aussi partenariales et économiques exemplaires, le projet IBA Parc des Carrières est aussi une source d’inspiration pour l’activation du réseau de gravières régional (on en dénombre environ 80). Dans une perspective plus large, le projet illustre la façon dont l’IBA Basel a mobilisé le paysage dans sa dimension spatiale et symbolique comme un élément structurant pour l’espace métropolitain. Penser le territoire depuis les espaces ouverts est un levier pour transcender les clivages institutionnels et territoriaux, et permet d'inventer de nouveaux modes de faire, par-delà les frontières.

Maîtrise d’ouvrage

Saint-Louis Agglomération (coeur du parc) (FR), communes de Hégenheim (FR),commune d'Allschwil (CH) et canton de Bâle-Ville (corridors d’accès)

Périmètre

env. 12 ha de carrière réaménagée et 3.000 m de corridors doux et écologiques au coeur d’une poche paysagère de plus de 300 ha

Cet article est un extrait de la publication de l'IBA « Au-delà des limites, ensemble ».